R-LMQODP II
La maison qui offre du paysage II
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A- Offrir du paysage
La densité actuelle et future des campagnes ne permettra plus longtemps de donner la possibilité au maître de l'ouvrage d'acquérir une parcelle de terrain et d'y construire son îlot de vie. Il s'agit d'un constat sans équivoque. Les limites sont toujours plus en contact tendu les unes par rapport aux autres : la campagne se mélange à la ville, les exploitations agricoles sont noyées dans l'habitat et les zones commerciales défrichent les parcelles réservées à l'habitat groupé. Selon moi, ce constat est notamment dû au fait que l'on considère que le paysage s'arrête à la limite de propriété. Nous sommes alors confrontés au fait que les projets d'habitats de par la gestion de leur micro-territoire (terrain) doivent nécessairement grignoter du macro-territoire (campagne). A l'échelle d'une habitation en zone rurale, quelles sont les possibilités pour tenter d'apporter une réponse à cette problématique ? L'intention de l'auteur de projet est simple : de par l'implantation et la volumétrie du bâti le but est de « rendre du paysage » à son contexte. L'utilisation de dispositifs architecturaux permettra de remettre en cause la perception que l'on a des limites en général et de la limite de propriété en particulier.
Implantation Tout d'abord, pour pouvoir conserver un minimum d'intimité par rapport aux habitations mitoyennes, il a été décidé de placer une haie (essence locale : hêtre ou charmille) sur les deux longueurs mitoyennes. Ensuite, l'habitation est implantée parallèlement aux limites de propriété latérales et centrée sur la largeur du terrain. Ce qui crée des dégagements latéraux égaux de 4,65m. Un traitement au sol de type pré fleuri y est appliqué. En façade avant et arrière, aucune entrave (haie ou clôture) ne vient masquer la vue. La perception qui en découle de la voirie est donc celle d'un bâti s'insérant dans un contexte de prairie. Les prés situés à l'arrière semblant glisser jusqu'à la voirie et encercler la maison. Finalement, notons qu'en pratique, cette limite de propriété est tout à fait classique. En effet, les traitements de surfaces et les aménagements ne permettent d'accéder à l'habitation que par un cheminement bien précis et limitatif (porche d'entrée ou sentier latéral avec portillon). Volumétrie Le gabarit bas en toiture plate est aussi choisi pour rendre l'habitation la plus discrète possible et libérer les vues du paysage. Grâce au premier écran formé par les haies, les vues transversales du domaine public (lorsque l'on monte ou descend la rue du Planty) ne permettent pas de voir la maison. Les habitations mitoyennes ne perçoivent pas non plus la maison, car la pente naturelle du terrain vient jouer le jeu de l'encastrement du bâti dans son contexte. Il n'y a que lorsque l'on se situe face au terrain que l'on peut percevoir l'habitation. La mise en place de ces dispositifs laisse toutefois la possibilité aux Maîtres de l'ouvrage d'utiliser le solde de la parcelle de manière plus pittoresque. Les zones d'agrément prenant l'aspect d'îlots de verdure ou de chemins bucoliques qui mènent à des carrés de verdure plantés d'arbres fruitiers.
B- Liberté
Symboliquement, le bâtiment est l'expression de la liberté et ce, sur plusieurs niveaux de lecture.
De structure, Le système constructif est simple. Sur une dalle de béton sont posés des murs porteurs disposés en carré (de +/- 3m sur 3m). Ces carrés reprennent les planchers des toitures plates et conservent un écartement entre eux de 4 m. Ils ne sont percés que d'une porte et sont donc aveugles. Ils servent à abriter les espaces techniques (chaufferie, salle d'eau ou wc) ou de rangement (outils, meubles ou vêtements). Un écartement double (2x4m) au milieu du bâtiment crée un espace ouvert central. On peut donc distinguer trois entités au bâtiment : deux carrés qui cadenassent un rectangle. Symboliquement, les pièces closes en carré (cellules) représentent la fermeture et l'exclusion. A contrario, elles permettent de créer des espaces ouverts et libérés car elles sont les points d'appuis et contraintes physiques nécessaires à la liberté de plan. Point de convergence de cette opposition entre coercition et liberté, les espaces de transition sont agrémentés de verrières. Ils donnent lieu à des zones atypiques où se crée une certaine tension. En effet, les points de fuites horizontaux associés à la sensation de rétrécissement de l'espace dictés par le rythme des pleins amènent la vue à se tourner vers le ciel. La liberté s'y exprimant purement et sans aucune limite (infini). Couchons-nous au sol et regardons la vie s'évaporer au travers des nuages que le vent emporte. Il y est ici question d'introspection, d'intériorité.
D'usage,
Cette liberté se retrouve ensuite dans la façon d'habiter les lieux. Les cellules (pièces aveugles) permettent de stocker des objets, des matières ou des techniques. Elles enlèvent alors aux espaces ouverts la nécessité de collecter les objets parasites. Ainsi, la fonction d'une pièce ouverte est désignée par le meuble qu'elle abrite. Tour à tour salle à manger de par la table qui y est placée ou chambre de par le matelas simplement posé au sol. L'organisation des espaces laisse libre court à toute forme de fonctions. Poussée à l'extrême, cette flexibilité permettrait à l'habitation ne pas en être une. Il serait vraisemblable d'y loger un musée, un restaurant ou une bibliothèque. Le système de circulation (absence de couloir et d'escalier) permettrait nombre de variation. Dans cette optique, le bâtiment a alors cette faculté d'auto-organisation et de l'ordre omnipotent (système constructif rigide) naît une souplesse inattendue. On se libère de la fonction à donner à l'espace et reporte à plus tard cet acte odieux de mettre un nom de pièce sur le plan. L'usage déterminera la fonction. Le plan dans l'absolu est vecteur d'indétermination. L'indétermination est le miroir de la liberté. Le plan est le reflet de la liberté. Le choix d'une habitation de plein pied découle également de la notion d'accessibilité des lieux. Étant touché par la problématique des personnes à mobilité réduite dans notre famille proche, il nous semblait opportun de permettre l'accès TOTAL au bâtiment à des parents qui pourraient en bénéficier lors de période de villégiature ou de fêtes familiales. La porte d'entrée franchie, aucune entrave ne fixe de limite, l'occupant est libre de déambuler où il veut.
D'expression,
En tant qu'auteur de projet, j'aime l'Architecture et je m'y intéresse fortement. Je compile ainsi mentalement un certain nombre de références et certains architectes me touchant plus particulièrement viennent s'inscrire dans mon inconscient. Alors en quoi mon jugement est-il indépendant de ces images qui guident mes projets ? Dois-je toujours mentalement aller piocher dans ce vivier ? Ou au contraire, ces images ne sont-elles qu'un miroir pour exprimer ma propre volonté ? Une des craintes principales qui a surgit lors du démarrage du projet, est que j'aurais pu tenter de faire un patchwork informe d'où ne ressortirait que des images éparses issues d'un bestiaire richement détaillé. J'aurais certainement abouti au constat amer que chaque reflet aurait perdu un peu de sa superbe.
Ce constat cristallise en moi cette question sur l'identité. Quelle identité donner à l'architecture de cette maison ? Comme décrit ci-avant, le bâtiment a une signification métaphysique ou philosophique. Une lecture complexe est donc possible. Par contre, il en est tout autrement de l'architecture elle-même. S'agissant de la construction, les codes d'expression sont simples et mettent en place une architecture sobre et efficace : les matériaux sont réduits au maximum ; les façades sont le reflet du système porteur et constructif ; les détails techniques sont basiques ; aucun éléments décoratifs ne vient perturber l'image mentale que l'on se fait de l'ouvrage. Elle utilise des principes simples de l'architecture : le rythme, la juxtaposition de vides et de pleins, la perspective, la symétrie (axiale) ou la limite entre intérieur et extérieur. L'habitation ne renvoie à aucune référence et elle ne souffre donc pas la comparaison.
L'idée majeure est que l'occupant prenne l'ascendant sur l'architecture du bâtiment et y place sa propre identité (par des meubles, des dessins ou tout simplement par son corps). L'Architecture s'effaçant au profit de l'individu. L'architecture supprimant sa propre lecture. Ma démarche finale est bien d'avoir l'occasion de prendre un bol d'air et de faire abstraction de l'héritage façonné de plusieurs millénaires d'expérimentation sur l'action de construire un abri (pour y placer une famille, des outils, un art, un peuple ou une religion), et de m'en libérer. Une dernière nuance est à apporter à la réflexion sur la liberté d'expression. En effet, dans le cas de l'architecture, il est essentiel de souligner qu'elle entre directement en contact avec son contexte. De ce fait, elle s'inscrit dans une lecture législative et codifiée (l'Urbanisme) vis à vis du monde qui l'entoure. Les prescriptions jouant le rôle de garde-fou, il est essentiel de respecter ce cadre et de motiver toute dérogation. Nous sommes alors dans l'idée que l'exception confirme la règle. Nous pensons toutefois, que l'expression de cette habitation n'est en rien contraignante vis à vis de son contexte. Elle a été conçue pour être un acteur du territoire, non pour le détruire. Elle a été imaginée pour libérer ses occupants d'un sentiment de cloisonnement.
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